Les séducteurs sont des destructeurs : Mais si, puisqu’on vous le dit !

Le 7e roman de Maria Pourchet, Western, fait partie de la « rentrée littéraire » 2023.

Un joli succès. Mérité. Possiblement un joli malentendu, ou plutôt un joli mal-lu.
Comme toujours ?

Pourchet a deux terrains de jeu : la langue, et l’amour.
La langue, dont elle travaille ostensiblement le rythme, pour y injecter l’énergie du réel, sa vitesse, sa tension, ses raccourcis. Elle restitue les fusées verbales des grandes engueulades, mais elle sait aussi décrire l’argumentaire qu’on fignole longuement in petto et qu’on ne prononce jamais.

La langue, donc, et l’amour. Le grotesque encombrant mais sublime de l’amour. Cet emmerdement vital. Couple, enfants, ruptures, renoncements, recommencements, scrupules, chagrins, questionnements égotiques et métaphysiques. Ça cause beaucoup. Ça ne papote pas : ça cause. L’un parle longuement et l’autre écoute, cloué, avant de répondre à son tour, façon Pascal Rambert dans ses meilleures pièces (Clôture de l’amour, notamment).
On échange par sms, les réseaux sociaux se mêlent de tout, on est citadin, divorcé, diplômé mais affublé d’un boulot navrant, et tout est incertain : l’époque est bien la nôtre.

Feu, le précédent roman, racontait un adultère : un homme très masculin et une femme très féminine, une histoire « vintage » comme une bouffée d’air frais. Pourchet y montrait sa force de frappe : ça se lisait comme on réfléchit quand on est énervé, comme on éclate de rire, ça se dévorait en sprint mental, sur le qui-vive. C’était caustique, et comme dans Y. Reza, hommes et femmes en prenaient plein la gueule, pas de jaloux.

Western est plus lent à couler, plein de méandres, au montage inutilement sophistiqué. A-t-elle eu la trouille de dire les choses trop frontalement ? Ça cause encore beaucoup – tant mieux. L’humour est toujours là : sociologique, vachard, ambigu. Car, voilà : Maria Pourchet n’est pas forcément dans le camp du Bien, des Femmes, des Victimes. Ses livres ne sont ni pour ni contre, (bien au contraire, comme dirait l’autre). Elle ose tenter de dire que parfois, c’est compliqué. Elle cherche, elle fouille la malle aux vérités humaines. Moi-même femelle, de la génération où explorer les mâles était une activité joyeuse (indice), ce ton me plaît.

Dans Western, Aurore, qui n’est plus une gamine, a décidé d’arrêter les histoires d’amour. Retirée à la campagne, seule, elle pense se reposer. Un homme en cavale déboule dans sa vie, par hasard. A sa grande surprise, elle doit admettre qu’elle est émue par cet homme, et pourrait bien en tomber amoureuse. Pas sûr, mais pas exclu. Pour commencer elle couche avec, après on verra.

Le type, Alexis, un comédien célèbre, belle gueule, plus tout jeune, est au cœur d’un scandale « me-too ». Il a séduit une jeune comédienne, Chloé, lui a fait vivre une histoire très passionnelle, fusionnelle, s’est montré envahissant, goulu, puis une fois lassé, a brutalement rompu. La jeune femme s’est suicidée. Sa mère tente de porter plainte, ébruite le dossier. Un journaliste publie les centaines de SMS obscéno-compulsivo-amoureux d’Alexis.
Le genre de SMS qu’on rêve de recevoir, mais pas 25 par heure.
Alexis sent venir l’orage et disparaît, plante le théâtre où il joue (Dom Juan, tant qu’à faire). Nul ne sait où il est, sauf Aurore. Informée de ce que chacun considère comme le crime d’Alexis, elle est pourtant prête à l’écouter, à étudier ce spécimen, à le comprendre sinon l’excuser. Il l’intéresse quand même.

Le roman se termine sur le monologue qu’Alexis improvise sur scène pour tenter de s’expliquer. Un vrai monologue de théâtre, déroutant et poétique, une parole fragile, bancale et pourtant très juste, recevable, honnête. Parfaitement humaine.

Intrépide Maria Pourchet !

Les journalistes sont emballés par le sujet, bien sûr (me-too, miam !), par le style, par l’auteur elle-même, belle gonzesse dotée d’aplomb. Quant à l’histoire exacte, il suffit de plaquer sur la trame l’histoire qu’ils voudraient y lire. Les journalistes réécrivent.
Je me disais : c’est bizarre, non ? Ce tic qu’ils ont de tordre un texte…Plus le thème est dans l’air du temps, moins la lecture est objective.

Un matin de septembre, donc, Léa Salamé, sur France Inter, résume les agissements du personnage masculin, Alexis (je cite) : « …ce qu’il a fait à cette jeune Chloé de 24 ans qui était son élève, une apprentie comédienne qu’il a séduite, draguée, mise sous emprise et détruite moralement, totalement, jusqu’au bout, elle est détruite cette jeune fille. »
Maria Pourchet, après des mois, peut-être des années passées sur ce texte, ayant pesé chaque mot de son histoire, gommé, réécrit, choisi son angle de narration, répond. A propos de son héroïne, Aurore : (je cite)
« Elle n’est pas très sûre qu’il soit si criminel que ça. Elle interroge autrement la situation d’emprise. Le crime d’Alexis, c’est de ne pas avoir constaté, considéré, vu et secouru la faiblesse. Il a vu une jeune femme qu’il a aimée et désirée, il n’a pas vu la petite fille, ni le Narcisse effondré, ni l’immense faiblesse physique et nerveuse de Chloé qui ne pouvait pas résister à un abandon. Le crime d’Alexis c’est ça, c’est l’aveuglement. »

Lisez bien. Relisez. C’est joliment dit, fin et précis. « Elle interroge autrement la situation d’emprise ». « Il l’a aimée et désirée, cette fille ». Aveuglé par lui-même, il n’a pas vu la fragilité, la blessure narcissique.
Une autre fille aurait pu réagir différemment, sa faiblesse n’était pas forcément prévisible. Peut-être était-elle fragile avant l’histoire, pour une raison liée à son enfance ? En tout cas, elle a accepté la relation avec cet homme, s’en est repue, réjouie. Elle n’a pas été inerte, et heureusement ! Pourquoi une femme serait-elle le jouet d’une relation ? Le type s’est montré excessif, invasif, puis l’a quittée, sans explication. Il croyait l’aimer et finalement non : c’est moche, mais ça arrive.

Lui homme vieillissant, comédien célèbre, membre d’un jury, elle apprentie comédienne, jeune sans être une enfant, candidate au concours. La vie. De cette histoire, la fille aurait pu conserver les bons souvenirs, les émois, les conseils de carrière, de lecture. Ou bien le traiter de vieux con, pleurer un bon coup et passer à autre chose. Ou un peu des deux, comme souvent c’est le cas. Elle aurait même pu, mais si, en rire ! Et se vanter d’avoir pécho le prof. Elle avait la vie devant elle, lui non. Elle voulait être comédienne et a tout abandonné de chagrin : d’autres y auraient puisé une rage de jouer. Personne ne l’a obligée à louper ses cours, à se couper de tout ce qui ne soit pas lui. Personne ne l’a empêchée de mettre le holà, de protester quand il se montrait envahissant, vorace, peu respectueux de son emploi du temps.
La jeune femme du livre s’est désolée. Furieuse, incrédule, blessée, humiliée, effarée.

Elle a choisi de mourir, ne pouvant certainement pas faire mieux. Peut-être aurait-elle fini par se suicider plus tard, pour un autre, on ne sait pas.
Pourchet a prononcé les mots faiblesse et aveuglement. Le vilain garçon aveuglé par son ego n’a pas mesuré la faiblesse de la jeune femme.
C’est pas malin, ni délicat. C’est tout de même autre chose que de faire mal volontairement. Présumer que l’autre encaissera la fin de l’histoire, est-ce criminel ? Qui n’a jamais quitté en présumant que l’abandonné(e) n’irait pas se jeter d’un toit, serait assez fort(e) pour supporter la rupture ?
Dans l’immense majorité des cas, l’autre assez fort, ça s’appelle un chagrin d’amour, ça fait très mal mais on n’est pas obligé d’en mourir.

Faiblesse. Synonymes : affaiblissement, débilité, déficience, épuisement, fatigue, fragilité, vulnérabilité. Mais aussi : lâcheté, médiocrité, laisser-aller.
On est faible quand on est fatigué, malade, bébé, vieillard, ou parce qu’on est séduit, impressionné, isolé, apeuré. Quand on est naïf, ou par flemme, par facilité.

On est faible parce qu’on est amoureux, aussi. C’est même une faiblesse qu’on espère, qu’on guette. Qu’on provoque ! Qui n’a pas rêvé de se sentir complètement crétin car tombé en amour ?
Le faible est-il fautif, ou doit-il être d’emblée exempté de toute responsabilité ?
Le manque d’emprise sur soi-même, peut-on lutter contre ? L’éduquer ?
Ça dépend, me répondrez-vous.
Bien sûr, évidemment que ça dépend. Seulement voilà, l’époque a un tic : le faible a raison, toujours, et le fort a toujours tort. Corollaire : les femmes sont a priori faibles, les hommes a priori forts. Un comble pour cette époque féministe ! Un paradoxe, un contresens, et surtout une idée fausse.

Atteinte de ce tic, Léa Salamé ne supporte pas la présentation que l’auteur fait de son roman.
Trop facile, se dit Salamé. Ce qu’il faut, c’est tenir le point de vue du faible, de la victime, de celle qui a ses raisons, et forcément raison. Qu’on souligne les torts de l’homme, sa faute de fort, et surtout pas l’éventuelle part de responsabilité, même inconsciente, même infime, qui pourrait échoir à la fille. Il faut que quelqu’un soit en faute.
C’est pourquoi Salamé coupe Pourchet sur le mot « aveuglement », et rectifie :
« …c’est d’avoir abandonné, mise sous emprise cette fille et de l’avoir ensuite abandonnée, et c’est ça qui est passionnant dans votre roman, vous êtes dans cette fameuse zone floue, zone grise, ce type est un mufle, un connard avec cette jeune fille, c’est répréhensible mais en même temps, vous le dites, ce n’est pas réellement judiciarisable. »
Voilà, c’est plus clair : Alexis n’est pas incapable de mesurer la faiblesse d’autrui, non, il est actif, déterminé à faire mal : il a mis sous emprise (autre grand mot !), et il a abandonné. Salaud !
Et la justice ne fait rien ? Alors qu’il a fait d’elle une victime ?
Victime : Statut particulier, protection, respect, indemnisation si possible.

Maria Pourchet, maligne ou résignée, n’insiste pas.
Peut-être même s’y attendait-elle : vu son sujet, forcément, on insiste sur le salaud qui fait du mal à une femme, et non sur la femme incapable de supporter une déception cruelle.
Pourchet n’a plus qu’à faire confiance à son bouquin, et souhaiter qu’on le lise, en entier.

Soyons juste : Léa Salamé ne condamne pas ouvertement le personnage d’Alexis, elle se contente de le traiter de mufle et de salaud. Puis elle repasse l’intervention de S Rousseau sur Julien Bayou, rappelle qu’il s’était agi d’une exécution publique sans procès, mais sans le déplorer clairement. On ne va pas non plus dénigrer le mouvement me-too, quand même !
Salamé demande à Pourchet : « Qu’est-ce qu’on fait des hommes ? ».
Pourchet répond que « les hommes en général », ça lui paraît un peu vaste, pour sa part elle s’en est tenue à son personnage, et garde espoir dans le genre humain.
Entend-on cette nouvelle nuance ?
Enfin Salamé cite Bégaudeau citant lui-même Duras : « Il faut beaucoup aimer les hommes, beaucoup beaucoup beaucoup les aimer pour les aimer, sans cela ce n’est possible, on ne peut pas les supporter. »
Pourchet nuance encore :
« Oui, mais pour le coup cela vaut pour tout le monde, ça n’a pas de genre. ».
Est-ce qu’on a bien entendu ?
Salamé ne relève pas, fin de l’interview.

L’essentiel, dirait ma mère, c’est qu’on ait parlé du livre.

Rosalie NISS

Œuvres citées :

Western, Maria Pourchet, éditions Stock
Clôture de l’amour (théâtre), Pascal Rambert, éditions Les solitaires intempestifs


Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *